André Malraux's Speech, 18 November 1967

André Malraux

Discours d’Oxford, 18 novembre 1967

 

Sténographie de l’allocution improvisée par M. André Malraux,

Ministre d’État chargé des Affaires culturelles,

à l’occasion de l’inauguration de la Maison française d’Oxford,

le 18 novembre 1967

 

Mesdames, Messieurs,

 

Et vous tous qui dans cette salle portez la robe de l’Université, vous rendez-vous compte que, depuis la naissance de la civilisation occidentale, jamais la responsabilité de l’Université n’a été si lourde dans le destin des hommes ?

 

Lorsque a commencé la civilisation machiniste, on a dit, banalement, que la machine lutterait contre l’esprit ; nous savons aujourd’hui qu’à toutes les usines de la terre répondent les usines à rêves. Trois mille personnes allaient au spectacle à Paris, il y a cent ans ; trois millions écoutent la télévision. Or, cet appel du rêve à la totalité des hommes implique – les marchands de rêves n’étant pas spécialement dominés par l’esprit – l’appel, le plus profond et peut-être le plus tragique que l’humanité ait jamais connu, à ses fantômes et démons. Ce qui est le plus puissant à travers la télévision, à travers le cinéma, ce sont les instincts et les puissances organiques du sexe et du sang. Or, la seule chose (et nous ne l’avions pas prévue), la seule chose qui compte en face des démons du sang, ce sont les paroles immortelles.

 

Nous ne savions pas pourquoi, nous ne savions pas comment nous mêlions dans notre coeur les paroles du Christ avec les paroles d’Antigone : «Je ne suis pas venue pour partager la haine, je suis venue pour partager l’amour.» Mais nous savons tous que nous n’avons pas oublié l’écho de la voix d’Antigone, et qu’à celle des pêcheurs de Tibériade, s’unit aujourd’hui l’accent des bergers d’Arcadie. Ce qui est devenu immortel ne l’est pas devenu par hasard. Aucun de nous ne sait pourquoi, je répète, aucun de nous ne sait comment, mais nous savons tous que la seule lutte qui affronte aujourd’hui les puissances souterraines, c’est celle des puissances de l’esprit.

 

Messieurs, vous portez cette robe de l’Université, puissance de l’esprit, comme le clergé portait la robe de l’Église, puissance de l’âme. Aujourd’hui ce ne sont plus les grandes religions qui soutiennent la civilisation machiniste et agnostique, ce sont les puissances de l’esprit. C’est seulement par ce que vous maintiendrez de ce que vous avez sauvé de la mort pour l’esprit des hommes que le destin sinistre qui menace l’humanité sera arrêté. Messieurs, je pense que nos universités travaillent de concert, mais il ne s’agit pas seulement d’universités ; quiconque travaille pour l’esprit travaille aujourd’hui pour sauver l’intelligence humaine et pour que l’homme reste l’homme. C’est pourquoi je me félicite que nous travaillions ensemble et déclare aujourd’hui la Maison française d’Oxford ouverte.

Ambassade de France à Londres,

Service de Presse et d’Information